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Moratoires sur la construction au Québec : un frein au développement urbain

Moratoires sur la construction au Québec

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Au cours des dernières années, le Québec a été témoin d’une augmentation notable des moratoires sur la construction dans plusieurs de ses municipalités. Ces suspensions temporaires des projets immobiliers, souvent instaurées en réponse à des défis liés à la gestion de l’eau, posent un dilemme majeur : comment concilier la nécessité de protéger les ressources hydriques avec l’urgence de répondre à une crise du logement sans précédent ?

Un état des lieux préoccupant

Moratoires sur la construction : des ouvriers sur un chantier

Plusieurs villes québécoises ont récemment décrété des moratoires sur la construction en raison de contraintes infrastructurelles, notamment liées à la gestion des eaux usées et à l’approvisionnement en eau potable. À Gatineau, par exemple, la municipalité a annoncé en novembre 2024 un moratoire sur le développement d’une grande partie de son territoire, invoquant des infrastructures d’eau usée insuffisantes pour soutenir de nouveaux projets immobiliers.

De même, à Saint-Lazare, la consommation excessive d’eau potable a conduit la ville à limiter les nouvelles constructions, incapables de fournir les services d’aqueduc nécessaires pour soutenir le développement immobilier. Cette situation est particulièrement préoccupante dans un contexte où la région anticipe une croissance démographique liée à l’ouverture prochaine de l’hôpital de Vaudreuil-Soulanges, qui devrait créer plus de 4 000 emplois.

À Lévis, la municipalité a également dû freiner ses mises en chantier en novembre 2024, faute de capacité suffisante pour traiter les eaux usées, imposant ainsi un moratoire qui pourrait durer plus de deux ans. Cette décision a été prise malgré une demande croissante de logements dans la région.

À Sherbrooke, un moratoire sur la construction a également été instauré en raison de préoccupations concernant la capacité des infrastructures municipales à gérer l’augmentation des eaux usées et à fournir un approvisionnement en eau potable adéquat pour de nouveaux projets immobiliers. Cette décision vise à protéger les ressources hydriques locales tout en permettant à la ville de planifier un développement urbain plus durable.

La crise du logement : une réalité exacerbée par les moratoires sur la construction

Le Québec traverse une crise du logement marquée par une pénurie de logements abordables et un taux d’inoccupation en baisse constante. Selon l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), le taux d’inoccupation a diminué au cours de la dernière année, plaçant le marché locatif sous le seuil d’équilibre de 3 %.

Graphique du taux d'inoccupation selon la municipalité entre 2006 et 2022 issu de l'études d'IRIS

Cette situation est aggravée par les moratoires sur la construction, qui limitent l’offre de nouveaux logements et contribuent à l’augmentation des prix. Les municipalités se trouvent ainsi dans une position délicate, devant jongler entre la protection de leurs ressources hydriques et la nécessité de développer de nouveaux logements pour répondre à la demande croissante.

Les défis de la gestion de l’eau

La gestion de l’eau est au cœur des préoccupations des municipalités québécoises. Les infrastructures actuelles, souvent vieillissantes, peinent à répondre aux besoins croissants liés au développement urbain. Les réseaux d’aqueduc et d’égout sont sollicités au-delà de leur capacité, entraînant des risques pour la santé publique et l’environnement.

Vue du ciel d'une usine de traitement de l'eau

À Montréal, la Ville a adopté en 2020 le règlement 20-030, qui encadre les branchements aux réseaux d’aqueduc et d’égout publics et impose des normes strictes pour la gestion des eaux pluviales. Ce règlement vise à réduire le débit de rejet des eaux pluviales dans les égouts, obligeant les nouveaux projets immobiliers à intégrer des solutions de gestion durable des eaux.

Cependant, toutes les municipalités ne disposent pas des ressources ou de l’expertise nécessaires pour mettre en place de telles réglementations. De plus, l’urbanisation rapide et le changement climatique exercent une pression supplémentaire sur les ressources en eau, rendant la gestion de cette ressource encore plus complexe.

Un problème complexe, des pistes de solutions nombreuses

La crise du logement au Québec est un problème complexe avec plusieurs facteurs aggravants. Aussi, il ne peut exister une solution unique pour la régler. Plusieurs pistes de solutions peuvent être envisager sur des échelles de plus ou moins long terme.

Bien sûr, la solution court-terme pour relancer la construction serait d’accorder un délai supplémentaire avant l’application des normes environnementales. C’est-à-dire continuer d’autoriser les surverses pour pouvoir délivrer des permis de construire. Cependant, selon Ecotime, l’enjeu est trop grand pour détourner les yeux encore quelques années. Il faut s’attaquer au fond du problème et repenser à la fois notre consommation et notre façon de construire.

Une autre piste de solution repose sur une question financière : appliquer des redevances ou pas ? Ces redevances, imposées par les villes aux promoteurs immobiliers lorsqu’ils construisent de nouveaux bâtiments, se retrouvent ensuite impactées sur les acheteurs finaux. L’avantage : les taxes n’augmentent pas pour les habitants de la ville. L’inconvénient : cela risque de compromettre l’accession aux biens en augmentant le prix de vente des logements. Par ailleurs, on peut se poser la question de l’équité puisque seuls les nouveaux habitants payeraient la facture de travaux réalisés pour l’ensemble des citoyens.

Sur une vision long-terme, il nous semble capital de miser aussi sur une prise de conscience de la consommation d’eau. Au Québec, on consomme trois fois plus d’eau par jour et par personne qu’en Europe, et même deux fois plus que dans le reste du Canada. L’installation de compteurs d’eau, la facturation pour les entreprises, mais aussi l’entretien des infrastructures existantes pour colmater les fuites font une énorme différence sur la durée.

Enfin, il faut repenser notre manière de construire et faire preuve de bon sens ! Pourquoi continuer à traiter de l’eau pour des utilisations aussi basique que les chasses d’eau par exemple ?

Vers des solutions durables : l’empreinte hydrique et le recyclage de l’eau

Face aux défis de la gestion de l’eau, il est impératif d’adopter des stratégies visant à réduire l’empreinte hydrique des nouvelles constructions et à promouvoir le recyclage de l’eau. Ecotime, en collaboration avec le Conseil régional de l’Environnement de Lanaudière, a développé des initiatives pour encourager les pratiques de construction durable et la gestion efficace de l’eau.

Ces initiatives incluent l’utilisation de technologies permettant la récupération et le traitement des eaux grises pour des usages non potables, la mise en place de systèmes de collecte des eaux pluviales pour l’irrigation et les sanitaires, ainsi que la promotion de techniques de construction réduisant la consommation d’eau.

Par ailleurs, des villes comme Montréal, avec son règlement 20-030, montrent l’exemple en imposant des normes strictes pour la gestion des eaux pluviales, encourageant ainsi les promoteurs immobiliers à adopter des pratiques plus durables. D’autres municipalités pourraient s’inspirer de ces initiatives pour élaborer leurs propres réglementations adaptées à leurs réalités locales.

L’importance d’une approche intégrée

Pour faire face à la crise du logement, une approche intégrée est nécessaire, impliquant la collaboration entre les différents paliers gouvernementaux, les municipalités, les promoteurs immobiliers et les citoyens. Le gouvernement du Québec a d’ailleurs adopté une Stratégie québécoise en habitation, s’engageant à construire 23 000 unités de logements abordables d’ici 2029.

Crise logement

Cependant, pour que ces objectifs soient atteints, il est essentiel de moderniser les infrastructures de gestion de l’eau et d’adopter des pratiques de construction durable. Les municipalités doivent être soutenues dans leurs efforts pour améliorer leurs réseaux d’aqueduc et d’égout, et des incitatifs doivent être mis en place pour encourager les projets immobiliers intégrant des solutions de gestion efficace de l’eau.

Conclusion

Bien que la multiplication des moratoires sur la construction au Québec mette en lumière des défis importants en matière de gestion de l’eau et de développement urbain, elle ouvre également la porte à des solutions novatrices et durables. Les technologies de récupération et de recyclage de l’eau, les infrastructures résilientes et les politiques publiques ambitieuses sont déjà à notre portée. Il s’agit désormais de les adopter à grande échelle.

Des collaborations comme celle entre Ecotime et le Conseil régional de l’Environnement de Lanaudière montrent qu’il est possible d’intégrer efficacement des stratégies de réduction d’empreinte hydrique et de soutenir un développement urbain respectueux des ressources naturelles. En s’appuyant sur ces exemples et en favorisant les échanges de bonnes pratiques entre municipalités, le Québec peut relever le défi et transformer ces contraintes en opportunités.

Les prochaines années seront cruciales pour construire des villes plus résilientes et durables. Avec une volonté collective et des investissements stratégiques, il est tout à fait possible d’inverser la tendance actuelle et d’assurer un avenir où développement urbain et préservation des ressources vont de pair. Le potentiel est là, et les solutions aussi : il ne tient qu’à nous de les mettre en œuvre.

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