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Alors que le Québec traverse une crise du logement sans précédent, l’Union des municipalités du Québec (UMQ) confirme que l’un des freins majeurs à la construction est notre gestion de l’eau au Québec. Même si l’eau douce ne manque pas dans notre province – nous possédons 3% des ressources mondiales – l’état très préoccupant de nos infrastructures a déjà empêché la construction de 36 000 nouvelles unités d’habitation depuis janvier 2025 seulement !
Un état des lieux préoccupant
Ce 12 mai dernier, l’Union des municipalités du Québec a en effet publié un sondage après avoir collecté les réponses volontaires de 139 villes. Sur l’ensemble des villes participantes, 43 reconnaissent avoir été dans l’obligation de refuser des projets de construction, faute d’infrastructures en eau suffisantes. Deux autres données confirment la tendance actuelle :
- Parmi les municipalités qui n’ont pas actuellement à refuser des projets, 20 % anticipent qu’elles devront freiner la construction de logements au cours des cinq prochaines années en raison d’un manque de capacité anticipé des infrastructures d’eau.
- 20 municipalités doivent également refuser des projets commerciaux ou industriels pour les mêmes raisons.
Les raisons de ces refus concernent toujours la gestion de l’eau. Dans certains cas, ce sont les usines de traitement des eaux usées qui atteignent déjà leur capacité maximale, dans d’autres cas, ce sont les réseaux d’aqueduc qui ne permettent plus d’ajouter de nouveaux branchements.
Le résultat est sans appel, c’est 36 000 habitations qui n’ont pas pu être construites rien que depuis le début de l’année. Ce chiffre équivaut à l’ensemble de la ville de Drummondville.
« Les 36 000 unités d’habitation représentent uniquement les données de 139 municipalités répondantes au Québec. Nous estimons que le chiffre réel est beaucoup plus élevé. Cette situation critique met en lumière l’urgence d’investir dans nos infrastructures pour répondre aux besoins croissants de la population » a déclaré Martin Damphousse, président de l’UMQ et maire de Varennes.
Le problème touche toutes les régions du Québec : des Laurentides à la Montérégie, du Bas-Saint-Laurent à Lanaudière. Même certains secteurs de Montréal sont concernés.
Des infrastructures vieillissantes et sous-financées
Les municipalités du Québec prennent à elles seules 60% de la charge de la gestion des infrastructures. Pourtant elles ne bénéficient que de la collecte de la taxe foncière pour couvrir les frais. Or, construire une nouvelle station d’épuration peut coûter plusieurs dizaines de millions de dollars. Les petites villes n’ont pas les moyens de telles dépenses, et les subventions gouvernementales sont lentes à débloquer. C’est une impasse : les villes ne peuvent pas accueillir de nouveaux citoyens tant qu’elles ne modernisent pas leurs fondations, mais elles n’ont pas les moyens de le faire sans ces nouveaux contribuables.
De manière générale, les infrastructures sont extrêmement vieillissantes dans la province. Le Québec souffre de plus de 44,7 milliards de dollars de déficit d’entretien d’après le CERIU*, en ne comptant que les infrastructures « en fin de vie ». Ce chiffre ne comprend donc pas les infrastructures à « risque de défaillance modéré » qui sont évaluées également à 34,3 milliards de dollars en 2023. Ces dernières peuvent rapidement se détériorer dans un avenir rapproché et augmenter le parc d’infrastructures d’eau à renouveler, surtout dans un contexte de changements climatiques risquant d’amener des pressions énormes sur le parc actuel (augmentation des précipitations et des températures, transformation des cycles gel-dégel, etc.).
En conséquence, de nombreuses fuites nous empêche d’optimiser notre consommation. En 2021, le bilan était de 53,2 milliards de litres perdus**.
*Rapport annuel 2023 Portrait des infrastructures en eau des municipalités du Québec – CERIU
**Rapport « Estimation du retour sur investissement pour les infrastructures en eau au Québec » par Groupe Agéco pour Réseau Environnement (2021)
Une crise du logement qui s’aggrave
Dans un contexte où la demande en logement explose, voir des projets complets être bloqués pour des raisons d’eau potable ou d’eaux usées est un non-sens, surtout dans une région comme la nôtre si riche de cette ressource précieuse. Chaque unité non construite est une opportunité manquée de loger des familles, de réduire la pression sur les loyers, de répondre à la crise. C’est un gâchis économique, social et environnemental.
Ce nouveau sondage confirme les tendances observées depuis 2023, date depuis laquelle plusieurs villes comme Saint-Lazare, Gatineau, Lévis ou Sherbrooke ont imposé des moratoires sur la construction, le temps de remettre à niveau leurs infrastructures d’eau. Aujourd’hui, on ne parle plus de cas isolés, mais d’un véritable frein systémique au développement urbain au Québec.
D’après l’Institut de développement urbain, représentant les promoteurs immobiliers au Québec, ces données doivent éveiller les consciences. « La Société canadienne d’hypothèques et de logement nous dit que, d’ici 2030, on doit sortir de terre 1,2 million de logements supplémentaires au Québec si on veut retrouver une abordabilité », rappelle la PDG de l’organisme, Isabelle Melançon, à La Presse.
L’Institut et l’Association de la construction du Québec militent d’ailleurs pour que les gouvernements provincial et fédéral mettent en place des aides financières pour accélérer la mise aux normes d’infrastructures d’eau et donc permettre de nouvelles constructions pour répondre à la crise.
Il est temps de réduire l’empreinte hydrique
Pour sortir de cette impasse, il faut plus que des investissements publics. Il faut aussi réduire la pression exercée sur les infrastructures existantes. Cela passe par une meilleure gestion de l’eau à l’échelle des bâtiments : limiter le gaspillage, recycler les eaux grises, valoriser l’eau de pluie, construire des villes éponges, etc.
C’est dans cette démarche qu’Ecotime a co-construit avec le Conseil régional de l’environnement de Lanaudière, une stratégie de réduction de l’empreinte hydrique sur le territoire. Réduire notre empreinte hydrique de manière stratégique signifie utiliser l’eau de manière plus efficace dans tous les espaces de notre vie, de l’agriculture à la consommation domestique.
L’aménagement de nos villes, de nos quartiers et de nos infrastructures urbaines doit également être intégré dans cette démarche, car il influe directement sur notre empreinte hydrique.
En utilisant des systèmes de récupération des eaux pluviales et de recyclage des eaux grises, il est possible de diminuer de 40 à 60 % la consommation d’eau potable. Ces technologies permettent aux nouvelles constructions d’être moins dépendantes des réseaux municipaux, et donc plus faciles à autoriser, même en contexte de capacité limitée.
Vers une réglementation plus moderne
Aujourd’hui, de nombreuses municipalités interdisent encore l’utilisation d’eau de pluie pour les toilettes ou l’irrigation. Pourtant, des normes comme la CSA B805 encadrent sécuritairement ces usages. Il est temps de moderniser la réglementation pour permettre aux bâtiments de s’adapter aux réalités climatiques et à la rareté des ressources.
Certaines villes au Canada sont au contraire très progressistes et permettent d’inspirer le reste du pays dans la bonne direction ! On note notamment les villes de Montréal avec le règlement 20-030 ou Vancouver avec la stratégie Rain City.
Le nouveau code de plomberie a permis aussi de faire une avancée avec une règlementation au sujet de l’eau non potable. Ce nouveau code permet d’encadrer les pratiques et les rendre plus sécuritaires, pour les démocratiser le plus possible dans l’ensemble du pays et au Québec.
Le Québec a les moyens de devenir un leader en bâtiments durables. Les technologies sont là. Les professionnels sont prêts. Ce qu’il manque, c’est un cadre légal plus souple, des incitatifs, et une reconnaissance de l’eau comme ressource stratégique.
Bâtir autrement, bâtir durable
Le blocage de 36 000 logements pour des raisons d’eau est une sonnette d’alarme. C’est tout un modèle de développement urbain qui est à revoir. Mais c’est aussi une opportunité. En repensant notre rapport à l’eau, en adoptant des stratégies de réduction d’empreinte hydrique, et en intégrant des technologies de recyclage de l’eau dans la construction, nous pouvons non seulement sortir de la crise, mais bâtir un Québec plus résilient, plus durable, et plus juste.